Nous vous présentons Yankuba
Par
Pamela Kerpius
Enregistré:
le 16 avril 2022
Publié:
le 1er octobre 2022
Traduit par:
Nathan Harbison
Owen Harris
Nous vous présentons Yankuba.
Il a 24 ans et vient de Dippa Kunda, en Gambie.
Pour arriver en Italie, il a traversé six pays : la Gambie, le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso, le Niger, et la Libye.
Yankuba, ou tout simplement Yanks, a quitté la Gambie le 10 février 2016, d’abord en prenant un ferry pour traverser la mer jusqu’au Sénégal, ensuite en prenant une voiture qui l’a emmené avec six autres personnes à Tambacounda, une grande ville dans l’est du pays.
Le trajet a duré six heures de Dakar à Tambacounda, où il a pris une correspondance et a voyagé en bus pendant deux semaines avant d’atteindre Bamako, au Mali. Il a voyagé en bus pendant la durée restante du voyage à travers le Burkina Faso, jusqu’à son arrivée à Agadez, au Niger. Il est resté à Agadez pendant un mois, caché dans un complexe avec 24 personnes, utilisant de l’argent afin d’acheter de la nourriture, de l’eau, et du café lorsqu’il se risquait dehors.
« C’était si bondé, » a dit Yankuba à propos du pick-up qui l’a transporté avec 25 autres personnes à travers le désert du Sahara. Il y avait des réservoirs d’eau pendant la traversée, qui a duré une journée et demie. Ces réservoirs n’ont pas été épuisés, mais d’autres personnes rencontrées dans le désert n’avaient pas eu autant de chance. Il a rencontré des personnes qui avaient été abandonnées dans le désert et n’a pas pu s’empêcher de partager sa réserve d’eau avec eux. « On dirait qu’ils vont mourir. [Ils] maigrissent à vue d’œil, » a-t-il dit. C’est un geste qui a rendu ses passeurs furieux ; ils l’ont frappé avec un bâton pour avoir enfreint les règles.
« Qu'est-ce que je dois faire ?, a poursuivi Yankuba. Ce sont mes semblables. Je le sens ». Il a dit que traverser le désert était « horrible, très difficile. Seul Dieu peut aider les gens à le traverser ».
Gatrone était la première ville où il est arrivé en Libye, mais il ne s’y est arrêté que quelques heures avant de partir jusqu’à Sabha. Il est resté à Sabha pendant un mois et deux jours. C’était un petit complexe, un lieu de transit qui avait quelques matelas sur le sol, où lui et quatre autres personnes dormaient. Des postes de contrôle étaient éparpillés à travers la ville où des migrants étaient arrêtés afin de payer des pots-de-vin. Ils étaient parfois enlevés. Yankuba a passé une nuit en captivité. Il a été frappé tout au long de la nuit, mais ils l’ont finalement libéré.
Il a continué jusqu’à Tripoli, la capitale de la Libye, sur la côte. Il est resté dans les limites de la ville pendant un mois dans une maison de transit qui accueillait plus de 300 personnes. Les conditions étaient mauvaises, et l’eau était de mauvaise qualité. Seule de l’eau salée du robinet était disponible sur place, mais il pouvait partir pendant la journée pour travailler et il s’achetait de l’eau en bouteille.
C’était une énorme « maison blanche*, » a-t-il dit, dans laquelle il est resté à Sabratha, le camp côtier, après avoir quitté Tripoli. Il y est resté pendant un mois. Il y avait parfois de la nourriture et de l’eau, mais pas toujours, et parfois, pendant des journées entières, il ne mangeait pas du tout.
Le 6 novembre 2016, Yankuba a traversé la mer Méditerranée à bord d’un canot pneumatique avec 120 personnes, dont 10 femmes et trois enfants. Il était 2 heures du matin lorsqu’il a quitté les côtes de la Libye. Après un certain temps, pendant le voyage, le bateau a commencé à prendre l’eau. Quelques personnes ont paniqué, alors le capitaine qui pilotait le bateau a fait demi-tour. C’est alors que les passeurs les ont arrêtés, coupant le moteur du canot pneumatique et les laissant flotter sur l’étendue d’eau. Il a passé un appel d’urgence sur le téléphone GPS qui était à bord, disant qu’ils étaient désespérés et perdus. Des passeurs ont envoyé un hors-bord et le matin ils ont tous été hissés à bord par une corde. Il était 10 heures du matin le 7 novembre 2016 quand lui et les autres passagers sont de nouveau arrivés sur les côtes libyennes.
Il pataugeait dans l’eau. Un autre bateau était en cours de gonflage, mais cette fois il n’y avait pas de moteur attaché. Ils n’avaient pas de boussole. « Allez tout droit, » leur ont dit leurs passeurs alors qu’ils sont partis sur la mer Méditerranée, la deuxième fois en deux jours, sans aucune autre instruction.
En mer, ils ont repéré un bateau de pêche. Le pêcheur a consulté sa boussole et les a redirigés vers les eaux internationales. Là, comme Yankuba s’en souvient, un navire marron et blanc est apparu, un bateau allemand.
« Ils m’ont sauvé la vie. Je ne l’oublierai jamais, » a dit Yankuba. Il est resté à bord pendant 12 heures pendant que l’équipage poursuivait ses efforts de secours. Il a passé la nuit sur le bateau jusqu’à ce qu’il arrive en Calabre, une région dans le sud de l’Italie, le 8 novembre 2016 à 19 heures.
Il a maintenant 30 ans et vit à Frosinone, en Italie, où nous avons enregistré son histoire le 16 avril 2022.
Yankuba est une personne incroyable.
*La « maison blanche » est un endroit que beaucoup ont mentionné pendant leur séjour à Sabratha, en Libye, comme un lieu connu qui peut être ou non un immeuble abandonné des années Kadhafi.